• Phase Cinéma

    THE HOMESMAN OU L'ELEGANCE DES SENTIMENTS

    The Homesman

    de Tommy Lee Jones (2014)

    THE HOMESMAN OU L'ELEGANCE DES SENTIMENTS

    En 2005, Tommy Lee Jones réalisait son premier film de cinéma, « Trois Enterrements », très inspiré par Sam Peckinpah. Presque dix ans après, il dirige Hilary Swank dans « The Homesman », western sélectionné au 67ème festival de Cannes. 
    Le film n’a remporté aucun prix et on peut trouver cela injuste, tant il impressionne par ses nombreuses qualités : une interprétation hors pair de Tommy Lee Jones et Hilary Swank (par ailleurs souvent récompensée depuis son rôle dans « Million Dollar Baby » de Clint Eastwood), une réalisation très soignée, attestant d’un grand sens du cadre, enfin une histoire racontée avec une intelligence rare dans le cinéma américain du moment. 
    On comprend pourquoi cette histoire a retenu l’attention de Tommy Lee Jones, toujours intéressé par la violence des rapports humains, mais aussi par l’humanité dont peuvent témoigner les individus les plus rudes, en apparence. « The Homesman » n’est pas un sujet très commercial ; lepitch est insolite : en 1855, au Nebraska, une célibataire revêche d’environ 30 ans est chargée par sa communauté d’accompagner trois jeunes femmes qui ont succombé à la folie dans l’Iowa, où elles vivront une vie moins âpre. 
    Mary Bee Cuddy n’est pas un personnage séduisant, de prime abord. Hilary Swank apparaît sans fard, amaigrie et peu avenante. C’est une fermière isolée et austère, habitée par le sens du devoir et la foi religieuse. Elle aimerait bien se marier, mais manifestement, aucun homme ne veut d’elle. On lui a dit si souvent qu’elle était laide à faire peur, sèche et autoritaire… Elle a beau exhiber ses biens, terre, vaches et cochons – à défaut de ses charmes – rien n’y fait. Très vite, pourtant, le spectateur aime Mary Bee, qui fait preuve de sensibilité, malgré sa retenue. 
    Tommy Lee Jones pose son cadre avec efficacité : la dureté des paysages, une plaine, la ligne d’horizon, aucun arbre… Un environnement qui contribue à donner au film son aspect très épuré. Des femmes éprouvées par la maladie et la mort de leurs enfants, la violence de leurs maris, une terre infertile qui les affame… Les trois folles que Mary Bee prend en charge ont tué leurs enfants. La première est catatonique, à l’état végétatif. Elle a 19 ans. Elle a enterré ses trois enfants. La deuxième est entravée. Elle se prend pour Dieu. C’est une bête fauve. Dans une scène éprouvante, on l’a vu jeter son nourrisson geignard dans la cuvette des WC. La troisième est attachée à son lit. Quand elle vient la chercher, Mary Bee embrasse ses deux petites filles affectueusement, en leur demandant de laver leur mère, avant le voyage… sans dénouer ses liens. 
    Mary Bee doit les convoyer sur des centaines de kilomètres, aux commandes d’un fourgon cellulaire guidé par deux chevaux, traverser des terres hostiles, peuplées de pionniers sauvages et d’Indiens.  Elle n’aura pas à faire le voyage seule. Peu après son départ, elle tombe sur George Briggs joué par Tommy Lee Jones. L’homme se balance au bout d’une corde (situation qui fait penser à l’ouverture de « Pendez les haut et court », avec Clint Eastwood), il supplie qu’on le détache. Mary Bee accepte à condition qu’il lui promette de l’accompagner. Il jure qu’il fera ce qu’elle lui demandera ; Mary Bee, dont la rectitude confine à l’obsession, met de côté 300 dollars, en guise de salaire pour Briggs. Avec cela, elle peut espérer avoir acheté la loyauté du bonhomme, bourru et patibulaire, un ancien déserteur de l’armée apparemment. 
    Le road movie s’engage avec son lot d’épreuves prévisibles et de coups de théâtre. En chemin, on se raconte un peu ; surtout Mary Bee. Elle vient de New York. Sa sœur a épousé un médecin. Elles ont perdu leur mère quand elles étaient enfants. Mary Bee peut-elle vraiment compter sur Briggs ? Les trois folles confiées par leur famille arriveront-elles saines et sauves dans l’Iowa ? Le film, minimaliste, nous entraîne et nous convainc. Mary Bee et Briggs s’apprivoisent, mais Tommy Lee Jones ne concède aucune mièvrerie, il ne succombe à aucun poncif (on pourrait espérer que la solitaire Mary Bee trouve enfin en Briggs le mari tant espéré). Le vieux briscard traite les folles sans ménagement. Mary Bee le tance : « Dieu les estime ! » Lui les estime à 300 dollars, le montant de son salaire. Le chariot passe près de sépultures indiennes. Briggs dépouille un cadavre pour récupérer la peau de bête dans laquelle il est enroulé. Cela vaut mieux que d’avoir froid la nuit… Mary Bee veut à tout prix enterrer les restes humains trouvés sur le chemin. Briggs ne veut pas s’arrêter et la laisse œuvrer. Elle peinera à le rejoindre dans une plaine immense et sans repère. Mais Briggs n’aura pas manqué de courage. Pour échapper à une horde de Pawnees, il n’aura pas hésité à leur apporter un cheval en guise de bonne volonté, à ses risques et périls. Pour reprendre à un pionnier avide, l’une des folles échappées, il en viendra aux poings, sans l’ombre d’une hésitation. 

    Briggs n’est pas un homme qui cède volontiers. Quand au bivouac, Mary Bee finit par lui proposer de se marier avec elle, énumérant à nouveau ses biens, comme argument de vente, il refuse tout net. Il tient trop à sa liberté. Quand elle veut qu’il la déflore, il le fait de mauvais cœur, lui rappelant bien qu’il ne l’a pas forcée. Cette séquence au bivouac est l’une des plus émouvantes du film. Mary Bee suppliante, Mary Bee offerte… Puis au matin, Mary Bee retrouvée pendue. Cette religieuse n’a-t-elle pas supporté de s’être dégradée ? A-t-elle été bouleversée par ce qu’elle a découvert ? N’a-t-elle pas accepté d’essuyer un nouveau refus à sa proposition de mariage ? Mary Bee a rendu la vie à Briggs, elle disposait de la sienne : elle a choisi de mourir comme il l’aurait dû, lui-même. Au bout d’une corde.  

    Contre toute attente, le film poursuit sa course lente sans Mary Bee, qui en était la raison d’être. Briggs enterre la jeune femme sans trop d’émotion, il prend l’argent, un cheval, et s’apprête à abandonner les folles à leur sort. Mais elles le suivent, à pied. Et quand l’une d’elle manque se noyer, les autres viennent à son secours, et c’est bras dessus bras dessous, en se soutenant, qu’elles s’arrachent aux flots, avec Briggs. Scène sobre, mais d’un humanisme puissant. On pense encore au cinéma de Clint Eastwood. Du coup, Briggs est bien décidé à remplir son contrat. Quand la nourriture se fait rare, il accepte très mal qu’un gandin planté dans un hôtel flambant neuf au milieu de nulle part, lui refuse l’asile. Il brûlera l’hôtel et ses occupants avec. Mais il aura gagné dans l’affaire un cochon de lait, qui rassasiera les pauvresses. Au bout du voyage, parvenu dans une petite ville coquette et verte, aux jardins soignés et bien alignés, Briggs s’achète un magnifique costume, il se rend au bordel pour jouer aux cartes – mais beaucoup de ses billets ne valent rien, ils émanent d’une banque régionale agricole qui a fait faillite. Il achète une paire de chaussures à une jeune domestique qui marche pieds nus. Elle lui rappelle Mary Bee. Et il semble alors prendre conscience qu’il a croisé sur sa route une femme exceptionnelle. Dans la dernière séquence, Briggs prend le bac, fin saoul, pour traverser le fleuve, bien décidé à déposer une plaque tombale sur la sépulture de Mary Bee. Il chante et il danse, sans doute désespéré au fond, et un type jette  à l’eau la plaque tombale, dans la nuit…  
    C’est ainsi que s’achève l’un des meilleurs westerns de la décennie. Un film sans concession, mais empreint d’une grande élégance, l’élégance des sentiments.  

    Christophe Leclerc  


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :