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    RIO GRANDE : UN TOUCHANT CLASSIQUE FORDIEN

    RIO GRANDE : UN TOUCHANT CLASSIQUE FORDIEN

    Produit pour la Republic en 1950 par Merian C. Cooper (celui de King Kong) et John Ford et réalisé bien évidemment par ce dernier, Rio Grande clôt le cycle consacré par John Ford à la cavalerie américaine, dernier volet du triptyque initié par Le massacre de Fort Apache et admirablement complété par La Charge héroïque.

    Avec John Wayne pour figure centrale, cette trilogie à la gloire de la Conquête de l’Ouest magnifie en noir et blanc les paysages somptueux de Monument Valley qui n’ont du reste pas bougé d’un iota depuis et qu’il faut avoir arpenté à cheval en compagnie des indiens du cru pour en apprécier toute la sérénité millénaire.

    A l’entame du métrage, le lieutenant-colonel York rentre au fort les traits tirés après une pénible expédition contre les peaux-rouges, déplorant de n’avoir pu poursuivre jusqu’au Mexique les fuyards. C’est un être désabusé qui mise en quelque sorte sur la réussite de son fils à West Point pour perpétuer sa carrière d’anonyme serviteur du gouvernement fédéral, un héritier qu’il n’a pas revu depuis quinze ans et qui débarque précisément dans sa garnison en tant que simple soldat, après avoir raté son examen d’entrée dans la prestigieuse académie militaire.

    C’est peu de dire que York n’est pas enchanté de le voir grossir les rangs de sa troupe, le confiant néanmoins aux bons soins du truculent sergent-major Quicannon campé par l’incontournable autant que savoureux Victor McLaglen afin de lui forger le caractère. Aux côtés de l’oublié Claude Jarman Jr (Jody et le faon) dans le rôle de ce rejeton encombrant, on reconnait plus volontiers Harry Carey Jr et surtout Ben Johnson qui promènera sa silhouette de heavy jusque chez Sam Peckinpah et qui s’avère être recherché par la justice comme voleur de chevaux.

    Notons que Wayne incarnait déjà un Kirby York dans Le massacre de Fort Apache mais à un grade inférieur et que Victor McLaglen composait déjà un Quincannon dans La Charge Héroïque, plus âgé cependant, correspondances permettant à Ford d’user de ces patronymes familiers à sa guise et par commodité narrative sans qu’il s’agisse forcément des mêmes personnages à différentes étapes de leur vie. Dans le même ordre d’idée, signalons au passage que le film n’offre à voir aucun véritable plan du Rio Grande !

    Relatant l’apprentissage des bleus entre sauts d’obstacles à cheval et pugilats nocturnes à la lueur d’un feu de camp, le scénario adopte un relief particulier quand apparait Maureen O’Hara, épouse de Wayne et mère de ce jeune soldat qu’elle entend tirer des griffes de l’armée à tout prix. C’est là la première collaboration entre Wayne et la flamboyante rousse d’origine irlandaise décédée en 2015 à l’âge de 95 ans et qu’il allait retrouver à plusieurs reprises avec bonheur sous l’égide de Ford puis d’Andrew V. McLaglen (fils de Victor) et George Sherman.

    Comme souvent avec Wayne, on a tendance à considérer qu’il n’a qu’à se contenter de porter l’uniforme yankee pour que l’habit fasse le moine, se coulant dans son rôle avec un naturel si confondant qu’on en oublierait presque qu’il a non seulement des dialogues à réciter devant la caméra mais aussi des émotions pleines de pudeur à faire passer, qu’il observe son fils à travers une fenêtre non sans tendresse ou qu’il domine Maureen O’Hara d’une bonne tête en endurant placidement ses remontrances avec un petit sourire en coin.

    Grâce au découpage de l’histoire comme au choix de ses plans certes classiques mais d’une efficacité toujours redoutable, la mise en scène de Ford d’une fluidité exemplaire ne nous laisse rien ignorer des sentiments qui animent les protagonistes principaux de l’intrigue et notamment Wayne, toujours debout malgré le poids écrasant de ses responsabilités et le trouble induit par le retour inopiné de son épouse qu’il avait quelque peu délaissé pour la vie militaire.

    Il suffit d’une émouvante séquence durant laquelle quelques soldats viennent donner l’aubade à O’Hara se tenant près de Wayne sous la lune pour que Ford nous décrive à travers leurs regards perdus dans le vague le poids de leur solitude et de leurs regrets respectifs, le tout nimbé dans un somptueux noir et blanc soulignant toute la portée nostalgique de ces instants-là.

    Et la première demi-heure du film de s’écouler à la manière d’un témoignage hagiographique sur la vie quotidienne de la cavalerie matinée d’une chronique douce-amère autour des amours manqués d’un militaire de carrière, sans coups de feu ni cavalcades endiablées. Une parenthèse paisible de courte durée puisque les Apaches profitent de ces moments intimes pour attaquer le fort et déclencher de nouvelles hostilités.

    Tandis que Maureen O’Hara demeure au fort et s’acquitte de tâches ménagères en nous révélant son attachement profond au camp sudiste et son aversion forcenée pour les nordistes, Wayne prend la tête d’un convoi qui se lance en colonne à la poursuite des autochtones sous un ciel de plomb, avant de rentrer bredouille au fort pour accueillir le général Sheridan interprété par J. Carrol Naish, venu lui donner l’ordre de franchir le Rio Grande pour aller massacrer les indiens.

    Mais en définitive, ce n’est pas cette mission qu’il va mener à bien, évitant à Ford de se montrer manichéen vis-à-vis d’eux, lui qui n’était guère raciste au demeurant et moins conservateur voire réactionnaire que Cecil B. DeMille qu’il envoya paitre et de quelle manière en plein maccarthysme devant la guilde des réalisateurs au grand complet, Wayne s’évertuant à voler au secours d’un convoi ramenant sa femme et son fils vers la ‘’civilisation’’, mettant hors d’état de nuire non pas de nobles guerriers mais de détestables pillards.

    Il y récolte une flèche en pleine poitrine sous les yeux de son fils, qu’il lui demande instamment d’arracher comme s’il s’agissait d’une simple écharde, le vétéran dur au mal réintégrant ses logis le bras en écharpe pour voir son fils recevoir une médaille perpétuant la bravoure familiale, sous le regard langoureux de sa femme avec laquelle il parait réconcilié.  

    Si John Wayne voyait dans Rio Grande une parabole sur la guerre de Corée, voire un plaidoyer pour l’intervention de son pays sur le territoire asiatique, lui qui au demeurant a toujours eu honte d’avoir échappé à la conscription durant le second conflit mondial, on peut plus prosaïquement considérer surtout ce western soixante-dix ans plus tard comme la démonstration du savoir-faire Fordien, peintre émérite d’une époque révolue voire fantasmée, reconstituée de toute pièce entre Utah et Arizona et qui n’a pas fini de nous envoûter.

    Notamment grâce à l’édition collector combo BR/DVD de la collection Western de légende que vient de lui consacrer Sidonis dont le master HD en sublime admirablement les images signées Bert Glennon et qui devrait grandement plaire aux fans du genre.

     

    Sébastien SOCIAS


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