• “Le froid a cassé ma vie”

    “Le froid a cassé ma vie”

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     Yann Thompson #LesMalChauffés : chez Fabienne, la survie dans un appartement à 9 °C
    Pour nous recevoir, elle a eu ce geste : allumer le chauffage, en plein jour.

    A 61 ans, Fabienne Delquignie vit dans un appartement glacial de Corrèze.
    D'ordinaire, cette sexagénaire n'enclenche son maigre radiateur à bain d'huile qu'en soirée.
    Ce matin de janvier, il fait 2 °C dehors et 9 °C chez elle.
    Près du chauffage, on atteint 10 °C.  
    "Ça va, non, 10 °C ?", lance-t-elle. La scène parle pourtant d'elle-même : chacun a gardé son manteau, son bonnet et ses chaussures.
    Comme Fabienne, de nombreux Français modestes peinent à chauffer leur logement.
    L'an dernier, ils étaient près de 7 millions à être victimes de précarité énergétique, consacrant plus de 8% de leur budget aux factures d'énergie, selon l'Observatoire national de la précarité énergétique. Derrière ces chiffres, il y a des vies ralenties, voire brisées par le froid.
    Des vies souvent invisibles, que franceinfo a choisi de mettre en lumière dans l'opération #LesMalChauffés.

    Dans cet article, Fabienne raconte comment le froid a "foutu en l'air" sa santé.
     
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    Avant d'arriver à Uzerche, Fabienne a vécu dans de nombreuses régions de France. Elle était interprète et traductrice.
    Le point commun entre moi, mon chat Duke et mon chien Foxtrot'h ?
    On est rongés par le froid et l'humidité.
    Cela fait six ans que j'habite dans un HLM de 45 m².
    Au début, je n'y étais pas en permanence – je donnais des cours de langue à droite et à gauche, j'étais active.
    Puis, en y passant plus de temps, les premières douleurs aux mains sont arrivées.
    Mon médecin m'a envoyée faire des radios : j'étais pleine d'arthrose et d'ostéoporose, à un niveau anormal pour mon âge.
    Mes bêtes ont commencé à courir sur trois pattes.
    Là aussi, mon vétérinaire a constaté qu'elles étaient remplies d'arthrose.
    Elles n'avaient alors que 6 ans – c'est rare d'en souffrir si jeune.

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    L'himalayen de Fabienne doit compléter son alimentation avec des comprimés contre l'arthrose.
    J'habite un bâtiment de la fin du XVe siècle, qui est, pour la petite histoire, classé Monument historique.
    Au quotidien, il n'y a jamais de soleil et il y a beaucoup d'humidité : je suis exposée plein nord et une rivière se trouve à quelques dizaines de mètres en contrebas.
    Cette humidité me donne des maux de tête et contribue à mon insuffisance respiratoire.
    Bref, ma santé est foutue.
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    L'appartement de Fabienne est situé au premier étage. Sept de ses huit volets restent clos en permanence.
    Pour essayer d'améliorer l'isolation, l'année dernière, j'ai condamné une fenêtre de mon salon en fermant les volets et en plaçant un placard devant.
    Je n'ouvre pas non plus dans ma cuisine, ni dans ma chambre.
    Il ne me reste qu'une fenêtre, dans le salon.
    Et encore, j'ai fermé un des deux volets et la vitre est couverte d'un film de survitrage thermique.
    Avec tout ça, j'ai très peu de lumière du jour.
    Cette vie sous éclairage artificiel est angoissante.
    Et me fait souffrir d'un gros déficit de vitamine D.
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    Pour lutter contre le froid venant des escaliers, Fabienne a tenté de calfeutrer son entrée.
    Mais ce n'est pas tout.
    Sur la porte d'entrée et sur la porte du couloir, j'ai scotché plusieurs couches de rideaux isolants et de couvertures de survie.
    C'est moche mais ça a le mérite de me protéger des courants d'air et du bruit des escaliers.  

    Le seul radiateur de la pièce à vivre, au second plan, reste éteint en permanence.
    Mes radiateurs, je ne m'en sers pas : je n'en ai pas les moyens.
    J'ai bien essayé celui du salon, un petit convecteur électrique bas de gamme, dont le plastique jaunit quand je l'allume.
    Il fonctionne mais il est trop loin de mon canapé pour me tenir chaud.
    J'ai donc acheté un radiateur à bain d'huile, que je garde près du canapé.
    Je ne peux pas me permettre d'en utiliser un deuxième. Pourtant, je meurs de froid.
    Après les APL, je paie 92 euros de loyer mensuel.
    Mes factures EDF sont de 49 euros par mois.
    Ce n'est pas énorme mais je dois éviter les écarts, car je ne vis qu'avec une pension d'invalidité de 705 euros mensuels.
    Et je dois garder de quoi acheter les cachets contre l'arthrose pour mes animaux, qui me coûtent 70 euros par mois.
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    Ces deux bacs contiennent des sels minéraux dans leur partie supérieure. Les sels absorbent l'humidité et la rejettent sous forme d'eau dans le récipient.
    Mes problèmes de logement entraînent d'autres frais, comme l'achat de recharges pour mes trois bacs absorbeurs d'humidité.
    J'en ai pour 15 ou 20 euros par mois, été comme hiver.
    Ils se remplissent très vite en eau, c'est impressionnant.
    Et c'est indispensable, pour ne pas que cette eau finisse dans mes poumons.
    Je me soigne avec des méthodes naturelles.
    Tous les matins, je sors cueillir des orties, en bas de chez moi.
    J'en fais des décoctions en 12 minutes au micro-ondes (je n'ai pas de plaques chauffantes) et je bois ça toute la journée.
    C'est génial contre l'arthrose.
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    "Parfois, quand je sors de chez moi, je me rends compte que je me suis trop couverte et qu'il fait meilleur dehors."
    Le froid a cassé ma vie. Je perds mes journées.
    Je reste au lit beaucoup plus longtemps qu'avant, à jouer au Scrabble sur mon ordinateur ou à regarder les infos.
    Heureusement que je dois me lever pour sortir Foxtrot'h.
     Parfois, on prend la voiture pour une grande sortie aux champignons.
    Quand on rentre, il fait tellement froid que je me rallonge sur le canapé, avec mes couvertures et mes animaux.
    Sans eux, je ne sais pas ce que je ferais…
    Ils me tiennent en vie contre les idées noires qui m'habitent.
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    "Foxtrot'h adore que je lui montre des vidéos animalières."
    De temps en temps, je m'occupe de personnes âgées ou d'animaux, ou je garde des maisons.
    Cela me permet d'être au chaud et de gagner 10 euros par jour.
    Sinon, je reste seule, chez moi.
    Le froid a beaucoup d'impact sur la vie sociale.
    Je suis devenue sauvage, peureuse.
    Moi qui étais patiente, j'ai tendance à très mal réagir.
    J'ai perdu confiance en moi. Avec un logement comme ça, je n'ose pas inviter de gens chez moi.
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    "Des gens me disent que je ne suis plus pareille qu’avant. Là, c'était juste après mon arrivée à Uzerche."
    Quand des amies venaient me voir, elles gardaient leur doudoune sur elles…
    J'aimerais redevenir comme avant, avec ma personnalité gaie.
    J'espère que mon témoignage touchera quelqu'un qui voudra me proposer un autre logement.
    Mon bailleur m'a déjà fait des propositions mais c'est du chauffage collectif.
    Je veux du chauffage individuel, pour maîtriser mes factures et éviter des charges trop lourdes.
    Si j'avais plus de revenus, je pourrais trouver un logement plus au sud, vers Brive, où il fait plus chaud.
    La misère est moins pénible au soleil.
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    La résidence de Fabienne se situe dans le cœur historique d'Uzerche, à proximité de l'abbatiale dont le clocher découpe la ligne d'horizon.

    francetvinfo 


    Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.
     
    Vous souffrez du froid chez vous et vous cherchez de l’aide ? Un numéro de téléphone géré par le service public de la précarité énergétique, le 0 808 800 700 (prix d'un appel local), vous permet d'être conseillé en vue de l’amélioration de votre habitat. Les centres communaux d’action sociale (CCAS) sont également à votre disposition et peuvent vous aider à régler certaines factures.

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