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CINEMA
LA BLONDE ET LE SHERIF
CRITIQUE
Dans les années 1950, Raoul Walsh est toujours l’un des réalisateurs les plus puissants d’Hollywood. Son rythme de production reste soutenu et la puissance de sa mise en scène demeure intacte la plupart du temps. Son contrat d’exclusivité avec la Warner a pris fin et, depuis 1952, il passe d’une firme à l’autre, de la MGM (La Ruelle du péché) à la Universal (Le Monde lui appartient), de la Columbia (Bataille sans merci) à la RKO (Barbe Noire le pirate), tout en revenant ponctuellement à la Warner (Le Cri de la victoire et Les Nus et les morts, deux œuvres extraordinaires). Il continue son éclatante carrière, en traversant tous les genres, comme il en a l’habitude. Dès 1955, il entame une collaboration assez fructueuse avec la 20th Century Fox, avec entres autres trois westerns. Les Implacables lui permet de filmer les grands espaces en Cinémascope (format large extrêmement prisé de la Fox qui l’emploie dès que faire se peut) et de tracer une aventure humaine simple, forte et pleine d’enthousiasme. Le Roi et quatre reines demeure sans aucun doute le meilleur pour sa capacité à mélanger cynisme, romance et chasse au trésor. Un véritable jeu de séduction survolé par un Clark Gable au sommet et un défilé d’actrices quasi-parfait. Le troisième et dernier western, de très loin le plus imparfait et dans le même temps le plus curieux, s’intitule La Blonde et le shérif. Sortant du tournage des Nus et les morts, œuvre dantesque et personnelle à bien des égards, Walsh s’accorde non seulement une pause comique, mais réalise un film atypique dans sa carrière, pour ne pas dire unique. Il faut tout d’abord dire qu’au sein de la production hollywoodienne de l’âge d’or, la comédie-western est un étonnant sous-genre souvent mal exploité et qui, tout compte fait, n’a connu que peu de films honorables. Exceptés L’Aventure fantastique, où Eleanor Parker embrase le ton du film de sa fougue légendaire, La Vallée de la poudre, plaisante sucrerie, ou encore Le Grand Sam, avec un John Wayne hilarant, le reste demeure dans les tréfonds de la médiocrité. Or, à côté de tout cela, sans être une grande réussite non plus, force est de constater que La Blonde et le shérif fait partie des meilleures productions du genre.
Prenant tout d’abord place dans une Angleterre victorienne guindée (avec ses Anglais pur jus persuadés que l’Amérique leur reviendra à nouveau) et technologiquement en ébullition (l’invention de la voiture sans chevaux, ci-contre à droite, ou le revolver de manche, objet d'un running-gag un peu mou), La Blonde et le shérif interloque et séduit tout à la fois. Raoul Walsh a en effet l’air de céder au comique pompier, entre retenue britannique forcée et effets burlesques, notamment avec cette voiture peu à peu en flammes après avoir émis quelques bruits disproportionnés. Le message est donné d’entrée de jeu : le film ne sera pas forcément de toute première finesse, mais jouera à fond la carte des différences entre l’Angleterre racée et l’Amérique sauvage. En l’occurrence, nous pouvons constater que dans sa première partie, cela fonctionne plutôt bien. Certes, on ne rit de bon cœur que rarement, mais au moins on sourit, et surtout on s’amuse. Une fois arrivé dans l’Ouest, notre héros anglais affable et singulier est ainsi totalement dépassé par les événements. Il arrête une attaque d’Indiens par une leçon de morale et arrive dans l’hôtel-saloon d’une ville en provoquant l’incompréhension. Il s’agit de la ficelle humoristique la plus utilisée par le scénario, ce constant décalage entre deux cultures, forçant le trait de tous côtés, allant jusqu’à poser une barrière dans le langage (accent et patois local sont plus que jamais de rigueur). Le personnage ne comprend de ce fait que la moitié de ce qu’on lui raconte et ne saisit jamais les véritables enjeux qui se déroulent sous ses yeux. Il faut le voir accepter de boire du whisky en ne comprenant absolument pas que son interlocuteur cherche simplement à le provoquer et à le tuer. Par ce biais, le réalisateur tire le maximum de cette partie du sujet, en parodiant tous les lieux communs du western : le saloon, les tueurs locaux, le croque-mort, le cimetière, le manque d’éducation, la loi du fusil, la lâcheté des uns et la bêtise des autres.Pour la première et seule fois de sa carrière, Walsh s’autorise une véritable récréation dans laquelle il rabaisse l’Ouest et ses mythes, tout en accentuant la perte de repères ressentie par un étranger venu d'une l’Europe finalement trop civilisée. Il n’est pas question de morale ni de quelconque psychologie, tout n’est qu’humour au second degré et fantaisie. Et les bonnes scènes ne manquent pas, avec par ailleurs une partie de poker assez loufoque, et où notre Anglais se laisse conseiller par un chien, ou encore cette cabane abritant une famille vivant dans la saleté (le mari obtus et le gamin parmi les chiens). Devenu shérif par erreur et cherchant à vendre des fusils de « gentlemen » qui ne peuvent en rien rivaliser avec les Winchesters désormais installées dans l’Ouest, le héros parcourt donc le film de son élégance, s’offusquant de la moindre immoralité. L’acteur anglais Kenneth More est excellent dans cette posture, et la relative réussite du film lui doit beaucoup. Quoique son personnage émette un soupçon de misogynie (très discret, davantage ressenti qu’aperçu explicitement), il faut avouer que son verbiage, son visage incrédule et la sympathie qu’il promène font mouche et contrastent habilement avec l’antipathie dégagée par chaque élément autour de lui.
Malheureusement, comme c’est si souvent le cas pour ce type de films, l’ensemble s’épuise sur la durée. Arrivé à la moitié de l’histoire, le récit n’avance plus et commence un peu à recycler les gags. La routine s’installe et le spectateur commence à trouver le temps long. Outre cela, le chapitre qui se concentre sur les Indiens est à peine convenable et, véritable comble pour une pantalonnade comme celle-ci, provoque un petit malaise (les femmes indiennes qu’il faut marier, les acteurs mal grimés…).Enfin, la séquence musicale dans le canyon, avec ses effets d’écho, n’est guère supportable. Techniquement, le film est soigné mais un peu froid et impersonnel. On a pourtant droit à un Cinémascope princier, à la belle photographie d’Otto Heller (responsable de la photographie du Corsaire rouge de Robert Siodmak ou bien des Maléfices de la Momie de Michael Carreras) et au savoir-faire de Raoul Walsh, même si ce dernier ne semble pas profiter d’une grande inspiration : son génie ne s’exprime pour ainsi dire pas. C’est propre et solide, mais il est inutile de comparer avec le reste de sa filmographie. En fin de compte, un ennui poli s’installe par endroits, et l’on doit plus que jamais compter sur l’abattage de Kenneth More, ainsi que de Henry Hull, truculent second rôle ivrogne et couard. En revanche, il faut concéder que More n’est pas bien épaulé par sa partenaire féminine. Jayne Mansfield, sorte de sous-Marylin Monroe (et sous contrat à la 20th Century Fox qui désirait profiter du filon de la poupée blonde peroxydée), n’est pas du tout convaincante. Elle se révèle au contraire gênante pour le film et agaçante pour le spectateur. Son jeu n’est pas très juste, et surtout elle ne maitrise pas le sens comique voulu par le scénario. C’est en grande partie à cause de sa présence et de sa piètre performance que le film ne décolle jamais vraiment. Et puis, il est terrible de voir à quel point la Fox désirait cloner Marylin, si bien que l’on finit par ne voir ici qu’un succédané sans saveur. Jayne Mansfield n’aura, au fond, jamais été meilleure que dans son rôle sur-mesure de La Blonde explosive.
La Blonde et le shérif est donc un petit Raoul Walsh, assez original, et s’affichant comme étant une curiosité dans sa longue et prolifique carrière. L’humour potache le dispute régulièrement à un décalage prononcé, et la prestation de Kenneth More tire indéniablement le film vers le haut, ce qui parvient à divertir convenablement. Prenons donc ce film pour ce qu’il est : une pause détente sympathique.
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