• AFFAIRE POLITIQUE

     Les profanateurs du cimetière de Carpentras

    Une affaire politico-médiatique

    Le 10 mai 1990, deux femmes venues se recueillir dans le cimetière juif de Carpentras découvrent des dizaines de tombes saccagées. Sur l'une d'elles est exposé un cadavre. C'est celui de Félix Germon, enterré quinze jours plus tôt. Son corps porte les marques d'actes barbares. L'après-midi même, Pierre Joxe, alors ministre de l'Intérieur, se rend sur place. Et devant les journalistes, il adresse une mise en cause à peine voilée de l'extrême droite et principalement du Front National.
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    La grande manipulation de la honte de l’affaire Carpentras (8-9 mai 1990)

    Carpentras-Joxe-FN2

    Extraits du livre de Blanrue, « Jean-Marie, Marine et les juifs » (Oser dire, 2014) :

    Jean-Marie, Marine et les juifs

    (…) Le 22 mai, le titre de l’émission « La Marche du siècle », présentée en direct sur FR3 par Jean-Marie Cavada (réalisateur : Serge Moati) est  « De Nuremberg à Carpentras ». On y projette un extrait d’une trentaine de minutes du film Shoah, ressorti opportunément au cinéma St-Germain-des-Près le 30 mai. En compagnie de déportés, les invités principaux sont : l’homme qui a rencontré Dieu, André Frossard, celui qui a rencontré Henryk Gawkowski, Claude Lanzmann (en duplex de Tel Aviv), BHL, le grand rabbin Sitruk. Le néo-philosophe, chemise blanche et pantalon noir, entend extirper le discours du FN : « L’antisémitisme a des racines françaises (…) Le FN est ouvertement antisémite. On ne l’a pas assez dit. (…) Si demain 15% de Français votaient pour Le Pen ce serait un déshonneur. Bravo aux hommes politiques, Chirac, Noir, Giscard, qui ont dit qu’ils ne pactiseraient pas ! » Sur fond bleu, Claude Lanzmann s’emporte : « Chacun sait que Le Pen est antisémite, cela n’a pas à être prouvé, cela n’a pas à être établi ! (…) Il y a une mythologie de la puissance juive qui est insupportable et fausse. »

    Le 23 mai, Actualité juive interroge Claude Lalloum, directeur de l’Agence juive, à propos des deux mille dossiers d’alyah qui auraient été déposés à son bureau en une semaine depuis la profanation : « Il faut remonter à la guerre de Kippour ou des Six jours pour assister à un tel phénomène (…). Le Fonds social (juif) a commandé un rapport sur les Juifs de France. Il ressort que 22% d’entre eux pensent en termes d’alyah. Carpentras leur a donné “l’opportunité” de la réaliser. »

    La liste des villes refusant les meetings de Le Pen s’allonge : Villeurbanne, Vichy, Angoulême, Lorient, Poitier – et même la Trinité-sur-Mer. Jean-Christophe Cambadélis lance une pétition « Pas de salle pour le Front national », signée par 250 personnalités dont Maurice Sinet (Siné), Philippe Sollers, Roger Hanin, Serge Gainsbourg, Pierre Arditi, Alain Bashung, Johnny Hallyday.

    Le 24 mai, dans Le Nouvel Observateur, le sociologue de gauche Alain Touraine écrit : « Il faut avant tout dissoudre le Front national. » Deux pages plus loin, Marguerite Donnadieu dite Duras extravague : « Chaque matin, dans ma tête, je tue Le Pen de toute ma force. Dès que je me réveille je recommence à le tuer. Je n’ai jamais regardé Le Pen sans voir la mort dans les yeux. »

    Pendant ce temps, l’enquête sur la profanation piétine : « Malgré les dizaines d’enquêteurs envoyés sur place, malgré les nombreuses auditions effectuées dans les milieux d’extrême droite, malgré, en fin de compte, tout le poids de l’État qui s’est, au plus haut niveau, associé au choc émotionnel ressenti par les Français, les résultats de l’enquête à ce jour se résument en un mot : rien » (Le Quotidien de Paris du 19 mai). Seule indice véritable ? Cinq empreintes de chaussures de grandes tailles, dont une de type rangers. Aucun périmètre de sécurité n’a été établi. Le défilé des personnalités, puis les rassemblements, ont rendu toute recherche impossible.

    L’hebdomadaire Minute du 22-26 mai informe ses lecteurs que Pierre Joxe « a menti sur la date des faits en prétendant que la profanation était intervenue après “L’Heure de Vérité”. On sait maintenant que c’est dans la nuit qui a précédé l’émission que la profanation a eu lieu. Et qu’elle n’a été découverte qu’avec retard » ! Dans le même hebdomadaire Robert Hemmerdinger fait publier la semaine suivante un encart signé du Comité national des Français juifs : « Récompense 100 000 F – À toute personne fournissant des renseignements susceptibles d’être utilisés par la police pour arrêter les auteurs du forfait de Carpentras. Discrétion assurée. »

    L’heure des révisions déchirantes approche. Le 5 juin, Le Monde admet que « l’enquête a dérapé » ; sous la pression de la piste indiquée par Joxe, les policiers ont négligé l’enquête de voisinage, ne recueillant que trois jours plus tard les témoignages des riverains.

    Jean-Moïse Braitberg écrit le 7 juin dans Le Quotidien du Paris : « L’empalement dont avait fait état d’une manière très réaliste Laurent Fabius (…) est un mythe. Un mythe volontairement créé par une partie de la classe politique pour susciter une bien naturelle réaction d’horreur dans l’opinion (…). Il est, en effet, évident que la profanation de Carpentras n’aurait jamais entrainé une telle émotion si la profanation, désignée sans preuve comme antisémite par Pierre Joxe, n’avait revêtu le caractère barbare qu’on lui a prêté ». Braitberg se demande si, compte tenu de l’instrumentalisation politique qui en est faite, la profanation n’est pas une « manipulation ».

    Monique Guemann, procureur de la République de Nîmes et grande figure du Syndicat de la magistrature, révèle sur TF1 la conclusion du rapport des deux médecins légistes ayant examiné le cadavre cinq jours après les faits : le corps de Félix Germon n’a « apparemment pas été empalé », même s’il y a peut-être eu « intention » de le faire avec un piquet de parasol appartenant au cimetière (l’accessoire sert à marquer les futures tombes), et « glissé sous le corps », dans le pli fessier. Les experts écrivent : « Il est certain que le pied du parasol a été glissé sous le corps » et « n’a pas été introduit dans le rectum ».

    Michèle Cotta, dans Le Parisien du 8 juin, se range à leurs avis : « Le cadavre (…) n’avait, apparemment, pas été empalé. »

    Il n’y avait donc pas d’empalé, mais deux empaleurs imaginaires, Joxe et Fabius. Le seul empalé de cette affaire a été le mannequin de Le Pen, porté par le Bétar.

    Le 13 juillet, loi Gayssot est votée grâce à l’effet Carpentras. Le Pen se voit retirer l’autorisation de tenir les 14 et 15 septembre à l’hippodrome d’Auteuil la fête traditionnelle des BBR. La stratégie de Mitterrand  fonctionne à merveille : un sondage montre que le FN est nanti de 14,5% d’intention de vote, devançant l’UDF de 3 points. La cote personnelle de Le Pen n’a jamais été si haute : 16% ! Les Français sont sortis de leur sidération. L’opposition fait la grimace.

    Même le président de la communauté juive d’Avignon se demande dans le Quotidien de Paris du 17 juillet si « nous n’avons pas fait l’objet d’une récupération politique. Beaucoup d’entre nous ont eu le sentiment qu’on s’était joué d’une communauté en exploitant ses peurs. » Quant au grand rabbin de France Sitruk, revenant d’Israël où il avait déclaré que « chaque juif français est un représentant d’Israël », le voilà qui dit durant l’été au Figaro : « Qui sont les responsables ? Ce n’est pas important. » Pas important ?

    À la rentrée, le sociologue de gauche Paul Yonnet jette un pavé dans la mare avec un article paru dans la revue dirigée par l’historien Pierre Nora, Le Débat (« La machine Carpentras – Histoire et sociologie d’un syndrome d’épuration », n° 61, Gallimard, septembre-octobre 1990). Il y dresse un réquisitoire terrible contre l’ensemble des médias. Pour lui, « il n’est pas possible de relever la moindre équivoque dans les condamnations spontanées qui s’élèvent des rangs du Front. » Dans Le Point du 5 novembre, Yonnet explique que l’intervention de Pierre Joxe a été décisive « car elle agrège les éléments du climat et enclenche le mécanisme. Soit il a été mal informé, soit, prisonnier de la machine, il ne pouvait pas dire autre chose, mais, d’après les premières constatations, il n’y avait aucune relation évidente entre la profanation et “L’Heure de vérité” de Le Pen, ni avec d’autres propos antisémites. Pierre Joxe a donc volontairement initié le front anti-Le Pen. » Yonnet ajoute : « Le but de la machine : la fracture irréversible entre le Front national et le reste de la société suivie de sa mise à mort politique ».

    À l’occasion du premier anniversaire de la profanation, Jean-Claude Guillebaud écrit avec aplomb dans Le Nouvel Observateur du 23-29 mai 1991 : « Le danger d’une forme de judaïsme, lié à un sionisme inconditionnel et faisant régner une terreur intellectuelle au nom de l’Holocauste, fut dénoncé plusieurs fois ici même. »

    En 1993, le FN Guy Macary obtient 21% des suffrages à Carpentras, soit deux points de mieux qu’en 1988.

    Les mois et les années filent. Le fausses pistes se multiplient ad libitum. Le 18 septembre 1995, dans l’émission « Témoin n° 1 » de l’ami personnel de l’extraterrestre de Roswell Jacques Pradel, Me  Gilbert Collard, avocat du cousin de Mme Germon, dénonce à grand fracas le « mensonge d’État » : « On sait aujourd’hui que le Front national n’est pas responsable de cette profanation ». Il provoque une révolution médiatique. D’aucuns accusent une bande de jeunes garçons de Carpentras, qui auraient obéi aux règles idiotes d’un jeu de rôle. Une certaine Jessie Foulon, 24 ans, désigne le fils du maire, Olivier Andrieu. En tapinois, Le Pen la rencontre par l’intermédiaire de Guy Macary, la mère de Jessie ayant été cliente de ce dernier dans une autre affaire. Ni l’un ni l’autre ne croient à sa thèse.

    Heureusement pour eux : la demoiselle ne tarde à être démasquée quand elle refuse d’être confrontée à ceux qu’elle accuse. Un expert psychiatre diagnostique une personnalité hystérique avec possibilité de fabulation ; il conclut qu’elle n’est point un témoin fiable.

    Le 24 septembre 1995, à la fête des BBR, Le Pen exige les excuses publiques des plus hautes autorités françaises. Le samedi 11 novembre suivant, le Front manifeste à Carpentras, rassemblant quelque dix mille sympathisants. L’état-major du FN est réuni sur un podium portant une vaste inscription  « 1990 : Carpentras machination. 1995 : Carpentras réparation. » Le Menhir revendique une « réparation proportionnée à l’offense » et proclame son innocence. Bruno Mégret, délégué général du FN, lance un avertissement : « Le boomerang de cette machination est en train de revenir sur la classe politique ». Joxe, devenu premier président de la Cour des comptes, est l’une des principales cibles de la manifestation. Le Pen s’y défend de « tout antisémitisme, racisme ou xénophobie ». Il affirme que la parti s’adresse « toujours aux Français de toutes races et religions » – osant même : « Nous préférons les juifs français aux juifs étrangers. »

    Le lendemain, le président de la LICRA, Pierre Aïdenbaum, tient une conférence de presse. Lui persiste et signe : « Jean-Marie Le Pen est naturellement responsable de la profanation, il y a cinq ans, du cimetière israélite de Carpentras » (AFP, rapporté par Présent, 14 novembre 1995).

    L’affaire est plus ou moins résolue l’année suivante. Le 30 juillet 1996, financièrement « au fond du trou » (Le Figaro, 12 mars 1997), un employé de sécurité privée, du nom de Yannick Garnier, grand costaud de 1,96 m, décide de tout avouer. Le malheureux serait désespéré. Il a voulu monter une société de gardiennage qui a coulé : « Entre les crédits, les impôts et les charges, j’ai des dettes et je ne trouve pas de travail pour les payer. Je considère que je suis à un tournant de ma vie. Je me retrouve au fond, je dois d’ailleurs être expulsé de mon appartement ce soir », déclare-t-il à des agents de police. Un « tournant » ? Cela se négocie. Lors d’une perquisition chez lui, on ne trouve aucun tract nazi ni FN, juste une biographie du général Bigeard, un livre sur la Légion, d’autres sur les chiens et le bouddhisme.

    Curieusement, Garnier n’a pas poussé la porte du commissariat le plus proche – mais celle des Renseignement généraux d’Avignon. Pourquoi fichtre ? Parce que le père d’un de ses amis y travaille, dit-il. Il l’a déjà rencontré « plusieurs fois chez lui. » La mère d’un autre de ses amis, marchand de disques, travaille également aux RG ; il s’est même rendu dans les locaux pour lui apporter des fleurs pour la fête de mères… Perspicace, le fonctionnaire de police qui le reçoit estime qu’il est possible que Garnier se soit adressé aux RG en pensant que ce service, disposant de relations diverses, pourrait l’aider dans sa recherche de travail.

    Garnier balance les noms de quatre anciens skinheads avec lesquels il a fait le coup : Jean-Claude Gos, Patrick Laonegro, Bertrand Nouveau, Olivier Fimbry.

    Hélas, Jean-Claude Gos, deux fois condamné à de la prison ferme pour coups et blessures volontaires, est décédé en banlieue d’Avignon dans un accident de moto en décembre 1993, de nuit et sans témoin. Deux ans plus tard, à la mi-octobre 1995, on a repêché dans le Rhône le corps du responsable de l’accident, Rachid Belkir, un tenancier de bar connu pour ses liens avec des trafiquants de drogue ; il a deux blessures par balle à la poitrine et ses pieds sont lestés de 70 kg de ciment.

    Hélas encore, c’était Gos le chef de la bande, le meneur. À l’époque, cet ex du Parti nationaliste français et européen (un groupuscule néo-nazi noyauté par la police), agent de service dans un lycée, avait vu les policiers débarquer chez lui trois jours après la profanation, mais son interpellation n’avait – étrangement – débouché sur rien.

    Patrick Laonegro, magasinier de profession, avait lui aussi été perquisitionné, sans être davantage inquiété. Lui aussi est un ex-membre du PNFE, où il n’est resté que quelques mois. Il est considéré comme l’intellectuel du groupe. Signe particulier : depuis 1987, soit trois ans avant la profanation, il collabore étroitement avec les RG d’Avignon (Nicole Leibowitz, Actualité juive, 20 mars 1997). Au sein des RG, le fonctionnaire de police Jean-Marc Buron, spécialisé dans les partis d’extrême droite, signale sur un PV qu’il connaît le personnellement ; il le « voyait de temps en temps », dans les bars ou sur son lieu de travail ; le but était de savoir « qui il fréquentait ». Leur dernier rendez-vous antérieur à la profanation ? Février-mars 1990, à peine deux mois avant les faits… On se perd en conjectures quand on apprend que l’alibi de Laonegro, lorsqu’il a été placé en garde à vue en mai 1990, « pouvait paraître fragile » aux yeux du Parquet, puisqu’il ne reposait que sur la courte déclaration d’une jeune fille connaissant des problèmes psychologiques.

    Nul membre du petit groupe n’a oncques milité au FN. Nul tract ni document du FN n’a été retrouvé chez eux. Bertrand Nouveau se souvient : « Selon les propres propos de Jean-Claude Gos, le Front national présidé par Jean-Marie Le Pen était trop démocratique » (dossier DGPN). Lorsqu’il est arrêté, Fimbry est quant à lui militaire à Colmar, médaillé de la Défense nationale.

    Garnier passe aux aveux devant le commandant de police Jacques Dumontier, de la SRPJ, auprès de qui les RG l’ont envoyé. Il raconte qu’il a été intégré dans la horde au sortir de l’armée, un ou deux mois avant la profanation, par son ami de classe Bertrand Nouveau. Le soir de l’opération, celui-ci l’a appelé vers 22h pour se rendre chez Laonegro. Garnier croit qu’ils vont « faire une ratonnade ». Non point ; Laonegro lui explique qu’ils vont filer d’Avignon à Carpentras pour déterrer un « mec » dans le cimetière afin de «  faire un grand coup qui n’a jamais été fait » (procès verbal DGPN). Il y a le matériel ad hoc dans les voitures de Gos et Laonegro. Le quarteron déboule à Carpentras vers minuit. Garnier « pense que les lieux avaient été repérés », car Laonegro s’est dirigé « directement vers une tombe ». Ils sont allés vers la « plus facile à faire ». L’un d’entre eux a tenté de décapiter le cadavre. N’y parvenant guère, il « a essayé de l’empaler une première fois, sans y arriver. » En repartant, Laonegro demande de « casser le maximum ». Ils s’enfuient dans les voitures de Laonegro et de Gos. Puis tout ce joli monde se disperse.

    Après s’être promis de se taire pour des raisons de sécurité, le groupe va peu à peu se dissoudre.

    Bertrand Nouveau se rappelle que la profanation a été commise la veille de l’émission de Le Pen. Le pieu du prétendu empalement a finalement été utilisé comme tuteur pour tenter de mettre le corps debout.

    Tout est au final de la faute du mort : Gos. Forcément. C’est Gos qui a décidé de « sortir le corps ». C’est Gos qui a tenté de le décapiter. Et c’est encore Gos qui s’est emparé du parasol. Le tout s’est effectué « dans un quasi-silence », dit Garnier (Le Monde, 20 mars 1997).

    Le 24 avril 1997, le tribunal correctionnel de Marseille condamne Laonegro et Fimbry à deux ans de prison ferme. Garnier et Nouveau, qui ont « admis et intégré le caractère odieux de leurs actes », prennent 20 mois ferme. Le jugement est assorti d’une somme (dérisoire) de 50 000 F de « dommages et intérêts » pour Mme Germon. Au procès, le substitut Fabienne Roze reconnaît « l’échec policier et judiciaire ». Elle concède que « Le Pen n’est pas le cinquième homme » (Libération, 21 mars 1997).

    Il est certain que les cinq zombies ne sont pas les coupables que Joxe, le CRIF et Mitterrand voulaient voir impliquer dans l’affaire. Toutefois, la piste policière ayant échoué durant six ans, l’incapacité des enquêteurs a rendu possible la diffusion de fausses nouvelles et une opportune instrumentalisation de l’événement.

    Condamné à 20 mois de prison, Yannick Garnier bénéficie pour sa part d’une libération conditionnelle à mi-peine, en juillet 1997 : il sort deux mois après le jugement du tribunal correctionnel de Marseille. On peut s’interroger sur les motifs d’une telle indulgence, au vu des faits commis et du tapage si pathologique qu’ils ont déclenché dans le pays.

    Rédactrice en chef adjointe au Nouvel Observateur, Nicole Leibowitz écrit dans L’Affaire Carpentras(Plon, 1997) que « la façon dont Garnier » a fait « irruption dans le paysage n’apparaît pas tout à fait crédible » : « Ses acolytes ne se montreront jamais. Lui accepte de se laisser photographier. On dirait même, tant on le verra à la une de tous les journaux, qu’il tend son visage à la caméra. Pourquoi ? Et qui, en effet, peut croire au repentir subit de ce néo-nazi ? ». Bonne question.

    Leibowitz interroge la sœur de Gos : « Mon frère trouvait que c’était une connerie de voter Front national (…) Le Front national s’adresse aux bourgeois. » Fin de l’histoire.

    Dans son livre Je ne sais rien… mais je dirai (presque) tout (Plon, 2007) Yves Bertrand, directeur des Renseignements généraux de 1992 à 2004, s’interroge à son tour sur cette déconcertante affaire : « François Mitterrand (…) tenait là l’occasion qu’il cherchait pour diaboliser le Front national après avoir puissamment contribué à son émergence. La phase A de son plan étant accomplie – un FN à 15% privant la droite parlementaire de plusieurs millions de voix –, il fallait passer à la phase B : rendre définitivement impossible toute alliance, même locale, entre cette même droite et les lepénistes. Le fait est que le piège a parfaitement fonctionné : après Carpentras et l’imputation de ce crime à Le Pen, les rares élus de droite qui ont osé nouer le moindre accord électoral avec son parti ont été frappés du sceau d’infamie ! (…) En quelques jours, le piège tendu par Mitterrand s’était refermé. Le Pen étant assimilé à un nazi, la droite se voyait imposer une alternative : ou se déshonorer, en comptant, pour gagner, sur les voix d’un émule de Hitler ; ou sauver son honneur, en acceptant un front républicain autour du gouvernement… En se privant, donc, des voix lepénistes nécessaires pour battre le Parti socialiste ! (…) Comme tous les services de police, nous étions mobilisés jour et nuit. Du côté du Front national, bien sûr, comme on nous y avait fortement incités, mais de tous les autres aussi. Nous avons cherché des fils de famille de la région connus pour leur goût des jeux de rôle, et dont certains avaient l’habitude de se réunir dans les cimetières ; nous n’avons pas non plus négligé les milieux islamistes professant ouvertement des thèses antisémites… Mais rien de rien. Jusqu’à ce jour de 1996 où un ancien skinhead qui, lors de l’enquête, avait attiré l’attention d’un inspecteur des RG, est venu se confier à lui, six ans après les faits, hanté par le remords. D’extrême droite, il l’était assurément ! (…) Ils venaient bien d’une extrême droite ultra-radicale, mais en aucun cas du Front national. Même si l’on déteste Le Pen, on n’avait pas le droit de lui faire porter le chapeau d’un acte aussi ignoble que la profanation de Carpentras. »

    Une question n’a jamais été résolue : pourquoi Gos et Laonegro ont-ils décidé de commettre cet acte stupide ? Au procès, les accusés ont été incapables de le déterminer. Une telle discrétion doit faire réfléchir, surtout si l’on se souvient que Joxe était déjà ministre de l’Intérieur lors de l’affaire du Rainbow Warrior en 1985, lorsque les services secrets français ont coulé un navire de Greenpeace, entraînant mort d’homme.

    Cette fois, l’objectif de la manipulation a été triple : empêcher le FN de poursuivre sa progression fulgurante ; rendre incompossibles le FN et la droite parlementaire ; faire passer la loi Gayssot pour diaboliser Le Pen plus encore. La gauche a instrumentalisé la communauté juive, avec l’appui de ses représentants sionistes, CRIF en tête, trop heureux de cette « divine surprise » leur permettant d’accabler le FN et son président.

    L’affaire Carpentras a été une machination politico-médiatique d’une envergure rarement atteinte, ouvrant le règne de la pensée politique obligatoire. Désigné à la vindicte publique, Le Pen dut attendre, pour être blanchi, que l’affaire se délite d’elle-même, jusqu’au résultat final, accablant pour les autorités. Mais comme on le sait, une information chasse l’autre et l’opinion publique n’en tire guère de morale durable.

    La veuve Germon est décédée le 7 juin 1999, à l’âge de 89 ans. Dix-neuf personnes seulement ont assisté à ses obsèques, dont une élue locale de FN, Nadine Ephrem-Bellier. Le 8 mai 1993, la malheureuse dame avait déclaré à France-Soir qu’elle s’était entretenue avec Jean-Marie Le Pen, convaincue de son innocence. Dans National-Hebdo du 12-18 octobre 1995, elle avait tenu à ajouter : « J’aime bien Le Pen. C’est un homme bien, pas raciste. J’aurais aimé qu’il passe à Carpentras, pour nettoyer tout ça » ! »

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